Le Père Noël face au droit des marques
Personnage libre ou actif immatériel protégé ?
23/12/2025À l’approche des fêtes de fin d’année, le Père Noël est partout : dans les vitrines, sur les emballages… et jusque dans les registres de marques.
De nombreuses marques comportent en effet les termes « Père Noël » ou une illustration de ce personnage emblématique de décembre.
Mais une question juridique mérite d’être posée sous le sapin : peut-on réellement s’approprier le Père Noël par le droit des marques ? Autrement dit, ces signes sont-ils valables au regard du critère de distinctivité, ou risquent-ils de conférer un monopole excessif sur une figure appartenant à l’imaginaire collectif ?
I. Quid de la distinctivité du Père Noël ?
Le droit français des marques encadre strictement les conditions de dépôt et d’enregistrement, qu’il s’agisse de marques verbales, figuratives ou tridimensionnelles.
Parmi ces conditions figure celle — essentielle — de la distinctivité.
Conformément à l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, ne peuvent être valablement enregistrés, et sont susceptibles d’être déclarés nuls s’ils le sont, les signes descriptifs ou dépourvus de caractère distinctif.
Une marque est distinctive lorsqu’elle permet d’identifier l’origine commerciale d’un produit ou d’un service, en le rattachant à une entreprise déterminée et en le distinguant de ceux proposés par d’autres opérateurs.
Cette appréciation s’effectue :
- d’une part, au regard des produits ou services désignés ;
- d’autre part, selon la perception du public pertinent.
Or, lorsque le signe reprend des codes largement utilisés dans un secteur donné — surtout à des périodes bien identifiées comme Noël — l’exercice devient périlleux.
Ainsi, il a été jugé, à propos d’une marque tridimensionnelle en forme de renne destinée à désigner du chocolat, que : « l’emballage en forme de renne, de couleur dorée, présentant un ruban rouge plissé avec clochette, ne diverge pas de manière significative des emballages des produits en question, qui sont communément utilisés dans le commerce, venant ainsi naturellement à l’esprit comme une forme d’emballage typique desdits produits ».
EUIPO, 17 déc. 2010, n° T-337/08
Autrement dit, lorsque la marque constituée à partir d’une illustration de Noël est trop classique, la distinctivité fond comme neige au soleil.
II. Le risque de monopolisation du Père Noël
Le risque de monopolisation d’une illustration usuelle constitue un élément central de l’analyse du caractère distinctif. Le droit des marques s’oppose en effet à l’appropriation, par un seul opérateur, de signes ou d’éléments qui doivent rester librement disponibles pour tous.
La Cour de justice de l’Union européenne rappelle de manière constante que :
« seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d'origine n'est pas dépourvue de caractère distinctif ».
CJUE, Cour, 24 mai 2012, C-98/11
Appliqué au personnage du Père Noël, ce principe conduit à une vigilance accrue, notamment pour des produits étroitement associés à l’univers des fêtes, tels que le chocolat, les confiseries ou les jouets.
Le risque de conférer un monopole sur une représentation emblématique et saisonnière milite alors en faveur de l’absence de distinctivité.
Cette logique se retrouve également en matière de dessins et modèles.
Ainsi, a été annulé un modèle de mannequin de Père Noël, au motif que celui-ci :
« le mannequin déposé se borne à reprendre les caractéristiques courantes du personnage légendaire du Père Noël : tunique, capuchon à pointe et pantalon, rouges bordés de fourrure blanche ; ceinture noire ; sac à dos, avec bandoulières, tenant lieu de hotte ; bottes noires aux pieds ; sans doute la représentation du Père Noël fait-elle l’objet de nombreuses variantes, dans l’imagerie traditionnelle, et peut-elle laisser place à l’imagination de différences conférant, à un modèle particulier, un caractère de nouveauté ou une physionomie propre et reconnaissable ; force n’est pas moins ici de constater que, prises isolément comme en réunion, les caractéristiques revendiquées (restant dans la limite d’éléments de détails connus ou banals, exclusifs d’une création) ne conférent pas un tel caractère ou physionomie »
CA Versailles, 12e ch., 7 sept. 2000
Pour conclure, si le Père Noël peut, sans difficulté, faire rêver petits et grands, il se montre beaucoup plus réticent lorsqu’il s’agit de devenir un actif immatériel exclusif.
À défaut d’une interprétation réellement originale, s’écartant de manière significative des codes traditionnels, son image demeure un élément de l’imaginaire collectif, destiné à rester librement accessible.
En matière de marques comme de dessins et modèles, le Père Noël pourra ainsi poursuivre la distribution de ses cadeaux, sans qu’un unique atelier de lutins ne s’arroge le monopole de son image ou de son nom.
